Alors que le président et le vice-président du pays comparaissent devant la juridiction internationale, une majorité de députés vient de voter pour que leur pays se retire de cette instance.
Dessin de Glez, paru dans le Journal du jeudi, Ouagadougou
OUI – Elle rend justice aux faibles
—Le Pays (extraits) Ouagadougou
Le Kenya de Uhuru Kenyatta envisage de se retirer du Statut de Rome
instituant la Cour pénale internationale (CPI). Cette velléité de
retrait trouve certainement ses raisons dans les déboires judiciaires de
certains dirigeants kényans, dont l’actuel président, sous le coup d’un
mandat d’arrêt de la CPI. En effet, la volonté du Parlement kényan de
dénoncer le Statut de Rome survient au moment où la CPI commence à
entendre, au sujet des violences postélectorales de 2008 qui ont fait
d’innombrables victimes, le vice-président kényan, William Ruto [son
procès, entamé le 10 septembre, a été suspendu après l’attaque du centre
commercial Westgate, le 21 septembre ; il a repris le 2 octobre], en
attendant l’audition du président Uhuru Kenyatta lui-même, prévue pour
novembre. Comme d’habitude, les pourfendeurs de la CPI ne manquent pas
l’occasion de l’accuser de porter atteinte à la souveraineté du pays et
d’avoir la particularité de ne traquer que des Africains.
En agissant de la sorte, les autorités kényanes ne font pas preuve d’un
grand sens des responsabilités. La CPI n’est certes pas parfaite, mais
la qualité de son travail dépend, pour beaucoup, de la coopération des
Etats membres – dont le Kenya – qui l’ont mise en place. Les dirigeants
africains ont cette particularité d’adhérer, tambour battant, aux
institutions et aux principes internationaux quand cela les arrange.
Mais dès que leurs intérêts individuels sont menacés, ils se rebiffent
et vont jusqu’à les désavouer.
Au dire des autorités kényanes, leurs juridictions nationales sont
compétentes pour juger les personnes que la CPI veut entendre. Mais
qu’ont fait ces juridictions depuis les massacres de 2008 ? Rien. On
sait en quoi consiste généralement l’indépendance de la justice en
Afrique. Les auteurs présumés des violences postélectorales de 2008,
surtout ceux qui sont censés en avoir été les commanditaires, ont été
protégés ou, à tout le moins, n’ont pas été inquiétés par la justice
kényane. La CPI s’est donc sentie obligée de faire le travail que la
justice kényane n’a pas pu ou pas voulu faire. Que l’on n’aille donc pas
l’accuser d’ingérence dans ce dossier. Elle a le devoir de rendre
justice aux victimes, surtout dans leur faiblesse, en réprimant les
auteurs des crimes les plus affreux.
L’idée selon laquelle les Africains seraient les cibles privilégiées de
la CPI gagnerait aussi à être relativisée. Certes, la CPI, dans bien des
dossiers, n’a pas su faire preuve d’une impartialité irréprochable.
Mais force est de reconnaître que le continent noir est réputé pour sa
mauvaise gouvernance, ses conflits intercommunautaires violents et ses
crises postélectorales sanglantes. Au regard de ces réalités, on peut
comprendre que beaucoup d’Africains soient actuellement au nombre des
prévenus ou des pensionnaires potentiels de La Haye. Cela dit,
l’accession de la Gambienne Fatou Bensouda au poste de procureur de
cette juridiction devrait rassurer un tant soit peu les populations sur
le fait que la CPI n’est pas une institution dirigée contre les
Africains.
Et, comme ils bénéficient de la présomption d’innocence jusqu’à ce que
leur éventuelle culpabilité soit reconnue par la Cour, il leur
appartient de se défendre plutôt que de se débiner. Si Uhuru Kenyatta
n’a rien à se reprocher, comme il le clame, il a même intérêt à saisir
l’occasion de cette audition pour faire la lumière sur cette affaire.
Les manœuvres des autorités kényanes pour se retirer de la CPI sont
d’autant plus incompréhensibles que le retrait du pays des Etats membres
de cette juridiction ne peut en rien annuler les poursuites contre
Kenyatta et compagnie. Il faut maintenant espérer que cette velléité
kényane de se retirer du Statut de Rome n’inspire pas d’autres Etats
africains. En tout état de cause, toute fragilisation de la CPI serait
dommageable pour les droits de l’homme, et surtout pour les peuples
africains.
Publié le 10 septembre
NON – Elle n’est pas équitable
–Ngunjiri Wambugu –The Star (extraits), Nairobi
Depuis le premier jour, j’ai été un fervent défenseur de la Cour pénale
internationale (CPI), mais plus aujourd’hui. Pourquoi ce changement ?
D’abord, je crois sincèrement que la CPI est une institution pétrie de
bonnes intentions, mais que sa capacité d’exécution laisse à désirer.
Elle prétend être une juridiction internationale équitable, se flatte
d’agir dans l’intérêt de ses Etats membres, mais se contredit dans la
pratique, ce qui discrédite son mandat.
Prenons les crimes contre l’humanité que le président George Bush et le
Premier ministre Tony Blair ont perpétrés en Irak après avoir menti au
monde entier en proclamant que ce pays possédait des armes de
destruction massive. Il faudra des décennies pour que l’Irak puisse
revenir à sa situation antérieure, qui n’était déjà pas très bonne. Or
la CPI n’a pas encore inculpé les deux anciens dirigeants pour les
crimes dont ils sont responsables. Prenons aussi le silence observé par
la Cour alors que le président Bachar El-Assad se livre en Syrie à des
massacres encore plus atroces que ceux qui ont eu lieu au Kenya. A ce
jour, la CPI n’a pas estimé nécessaire d’intervenir.
Il est donc clair, d’une part, que la Cour réserve un traitement spécial
à certains pays et individus et, de l’autre, que les Kényans ont évolué
par rapport à l’époque [janvier 2012] où elle a inculpé Uhuru Kenyatta
et William Ruto, aujourd’hui président et vice-président du Kenya. Mais,
alors que la CPI prétend œuvrer pour la justice des Kényans, elle ferme
les yeux sur les complications découlant des fonctions officielles des
deux hommes. La Cour soutient qu’il s’agit de deux inculpés comme tant
d’autres, elle affirme ne pas prendre en considération les conséquences
politiques de ses décisions, alors qu’elle le fait à l’évidence dans
d’autres cas.
La CPI doit donc se demander quel message elle envoie quand elle établit
un calendrier empêchant simultanément le président et le vice-président
kényans d’exercer leurs fonctions d’hommes d’Etat pendant un mois.
Comment ose-t-elle proposer que le Kenya célèbre son 50e anniversaire
[en décembre prochain] pendant que les deux hommes sont retenus à
l’étranger ? Cherche-t-elle à sanctionner le Kenya pour ne pas avoir
pris au sérieux leur mise en accusation ? Demande-t-elle aux Kényans de
choisir entre leur pays et la Cour ?
Qu’est-ce qui pousse certains Kényans à baver d’excitation à l’idée que
leurs président et vice-président vont croupir en prison, que les deux
hommes – et le Kenya – vont devenir des parias dans l’arène
internationale ? Il est clair que la CPI n’est pas équitable.
source : courrierinternational
posté par Salem Magazine.
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